Recherche de liquide inflammable dans des débris d’incendie
Introduction
Un des objectifs des experts en incendie est d’investiguer les lieux pour trouver le foyer originel et déterminer la cause du sinistre. La présence insolite de liquide inflammable et l’existence de plusieurs foyers indépendants prouvent l’acte délibéré. La preuve qu’un incendie est volontaire exige que l’expert élimine toutes les autres possibilités d’allumage en étudiant les systèmes présents sur les lieux capables de déclencher ledit incendie (Martin, 2013). Les éléments de l’enquête et ceux de l’investigation doivent être mis en commun et interprétés par les deux équipes pour prouver le caractère volontaire par le déversement de liquides inflammables : essence, alcool à brûler, white spirit, etc. Ces liquides sont généralement utilisés en grande quantité et ne brûlent que partiellement de sorte qu’une fraction se retrouve intacte, adsorbée à la surface des matériaux poreux : moquette, bois, béton, etc. L’analyse chimique en laboratoire permet de mettre en évidence l’emploi de tels liquides inflammables. L’expert en incendie qui ne possèderait ni les instruments ni les compétences pour réaliser ces analyses pourra faire appel à un « sapiteur » en s’adressant à un laboratoire équipé de son choix.
Sur les lieux, les prélèvements destinés à la détection de liquide inflammable se font là où la présence d’éventuel liquide inflammable constitue la preuve d’un déversement volontaire. Ces prélèvements sont ensuite conditionnés dans des récipients en verre ou en métal ou dans des sachets plastiques hermétiquement fermés puis conservés au réfrigérateur en attendant d’être expédiés au laboratoire.
Blancs de contrôle. Les substances que l’on trouve dans les débris d’incendie sont souvent adsorbées sur des supports organiques (bois, matières plastiques, etc.). En brûlant, ceux-ci se décomposent en produits volatils qui sont également détectés lors des analyses en laboratoire et interfèrent avec les composés présents dans les substances recherchées. Sur les lieux, il est donc indispensable de prélever aussi des « blancs de contrôle » constitués de matériaux non brûlés et de matériaux brûlés identiques à ceux sur lesquels on suspecte la présence de liquide inflammable, mais ne contenant eux-mêmes aucune trace de tels liquides (Martin, 2013). Ces prélèvements de comparaison sont analysés selon la même procédure que les prélèvements d’intérêt et permettent d’identifier les composés chimiques naturellement présents dans les matériaux analysés et les produits de pyrolyse. En l’absence de blancs de contrôle, il peut être difficile de déterminer l’origine des substances détectées qui peuvent en effet provenir du support lui-même, des produits de pyrolyse et/ou avoir été apportées par un tiers...
Au laboratoire, trois techniques peuvent être utilisées pour extraire d’éventuels liquides inflammables présents dans les débris d’incendie : la distillation, l’extraction de l’espace de tête (headspace) et l’extraction par solvant. Cette dernière technique est peu onéreuse et est souvent utilisée par l’auteur pour ses analyses. Elle consiste à « laver » les débris d’incendie dans un solvant organique bien choisi, ce qui permet de récupérer les substances inflammables sous forme liquide que l’on peut ensuite analyser par chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse.
Classification des liquides inflammables. Les liquides inflammables courants sont classés, suivant leur nature, en différentes catégories. La classification retenue est celle de l’American Society for Testing and Materials (ASTM), normes E1387-01 et E1618-14. Les neuf catégories considérées sont : « essence », « distillats de pétrole », « produits isoparaffiniques », « produits aromatiques », « produits naphténiques et isoparaffiniques », « produits d’alcanes normaux », « distillats désaromatisés », « solvants oxygénés » et « divers ».
Généralités sur la chromatographie en phase gazeuse
La chromatographie en phase gazeuse (GC) est une technique analytique permettant de séparer les constituants présents dans un mélange afin de les identifier et les quantifier. Elle s'applique essentiellement aux composés gazeux ou susceptibles d'être vaporisés par chauffage (substances volatiles). Après avoir été préparé, l'échantillon est d'abord vaporisé à l'entrée d'une colonne, qui contient une substance active solide ou liquide appelée phase fixe ou stationnaire, puis il est transporté à travers la colonne à l'aide d'un gaz vecteur (helium). Les différents constituants de l'échantillon vont alors se séparer et sortir de la colonne les uns après les autres selon leur affinité avec la phase stationnaire et le gaz vecteur. L'échantillon est introduit en tête de colonne à l'aide d'une micro-seringue qui traverse une petite pastille en caoutchouc appelée septum jusqu'à une chambre située en amont de la colonne appelée injecteur. Cet injecteur est traversé par le gaz vecteur et porté à une température adaptée à la volatilité de l'échantillon. Les différents constituants présents dans l'échantillon vont alors être emportés par le gaz vecteur à travers la colonne chromatographique et se séparer les uns après les autres en fonction de leur affinité avec la phase fixe. Plus un constituant a d'affinité avec la phase fixe, plus il va mettre du temps à sortir de la colonne. Un temps caractéristique appelé temps de rétention (RT) est alors associé à chacun des constituants précédemment séparés. C'est le temps qui s’écoule entre l’injection de l'échantillon en tête de colonne et le moment où le composé séparé sort de la colonne. Les constituants du mélange ainsi séparés par chromatographie peuvent ensuite être détectés à l'aide d'un spectromètre de masse afin d'être identifiés et quantifiés.
Généralités sur la spectrométrie de masse
Pour identifier une substance inconnue, nous utilisons un spectromètre de masse (MS) afin de détecter les différents composés précédemment séparés par l'étage chromatographique. Ces composés sont d'abord fragmentés et transformés en ions moléculaires (chargés électriquement) par impact électronique. Après ionisation, les ions formés sont séparés par un analyseur spécifique (quadrupôle) qui va dévier leur trajectoire en fonction de leur masse et de leur charge électrique, ce qui va permettre de les détecter puis de les identifier. Les résultats obtenus sont présentés au moyen d'un graphe appelé spectre de masse sur lequel on reporte les abondances relatives (%) des ions formés en fonction du rapport masse/charge (m/z). En opérant dans des conditions expérimentales identiques, la fragmentation décrite précédemment est reproductible et est caractéristique des composés étudiés, permettant ainsi de les identifier par comparaison avec des spectres de masse de référence (NIST, ILRC database, bases de données personnelles, etc.).
Partie expérimentale (à adapter selon la nature des prélèvements)
Elle consiste successivement à échantillonner les prélèvements afin d’obtenir des échantillons représentatifs de ces prélèvements, extraire les substances adsorbées sur la surface des débris d’incendie par un solvant bien choisi, séparer puis détecter par GC-MS les substances précédemment extraites.
Echantillonnage. En procédant à un échantillonnage mixte (systématique et aléatoire), plusieurs prises d’essais sont effectuées en différents endroits des prélèvements afin d’obtenir des échantillons représentatifs de chacun de ces prélèvements. Cette méthode permet notamment de sélectionner dans les prises d’essais des morceaux de débris susceptibles de retenir des liquides inflammables (matériaux poreux peu brûlés...). Finalement quelques grammes de matière sont prélevés pour analyse.
Phase d’extraction (selon norme ASTM E1386 - 15). Des essais préliminaires sont réalisés afin d’optimiser la phase d’extraction : quantité à prélever, choix du solvant d’extraction, durée de l’extraction, etc. A titre d’exemple, l’analyse des débris d’incendie dont le chromatogramme est montré plus haut a été réalisée ainsi : à 1,5 g de prélèvement ont été ajoutés 1,0 g de solvant dichlorométhane (CH2Cl2), puis l’ensemble a été passé 15 min aux ultrasons. La solution a ensuite été filtrée (filtre Millex - 0,45 micron).
Analyses par GC-MS. Avant d’effectuer l’analyse des prélèvements, le spectromètre de masse est d’abord étalonné à l’aide d’un gaz commercial étalon. Ensuite, un « blanc » est préalablement effectué sans rien injecter, puis un second blanc est réalisé en injectant uniquement le solvant dichlorométhane pur (volume injecté = 1 µL). L’analyse des spectres obtenus permet de s’assurer de la propreté de la colonne et d’identifier les signaux associés à la colonne et au solvant utilisés afin que les composés correspondants, également détectés, ne soient pas attribués à tort aux prélèvements analysés. La colonne utilisée, en vieillissant, libère en effet de la phase stationnaire générant des pics caractéristiques dans les spectres de masse à m/z = 207 et m/z = 281. L’analyse des prélèvements est ensuite réalisée en injectant 5 µL de solution filtrée dans l’appareil.
Interprétation des données. Les chromatogrammes et spectres de masse obtenus sont analysés selon la norme ASTM E1618-14. Le Laboratoire Pluridisciplinaire de Criminalistique possède ses propres bases de données de composés cibles (ARSON) et d'additifs (ARSON-ADD) mais également diverses bases de données commerciales (NIST 14) ou libres (ILRC database) et logiciels spécifiques (Xcalibur, AMDIS, OpenChrom) permettant l'interprétation des données. Au laboratoire, deux principales méthodes sont utilisées pour identifier un liquide inflammable : TCC (Target Compound Chromatography) et EIC (Extracted Ion Chromatogram).
Une trop grande confiance dans les logiciels de comparaison peut être dangereuse...Ainsi, nous attachons une grande importance à la connaissance des mécanismes de fragmentation mis en jeu en spectrométrie de masse. Cela reste en effet indispensable pour interpréter correctement les spectres de masse obtenus et ainsi identifier un composé.
BIBLIOGRAPHIE
J. C. Martin, Incendies et explosions d’atmosphère, Presses polytechniques et universitaires romandes, Collection sciences forensiques, 2013.
ASTM E1618 - 14, Standard Test Method for Ignitable Liquid Residues in Extracts from Fire Debris Samples by Gas Chromatography-Mass Spectrometry.
ASTM E1386 - 15, Standard Practice for Separation of Ignitable Liquid Residues from Fire Debris Samples by Solvent Extraction.